Maligny

Jacques LAFARGE

 MALIGNY, LE "VERT PARADIS" DE JACQUES LAFARGE

Le début de ce siècle voit l'apparition des médicaments familiaux. Coïncidant avec l'essor de la "réclame" dont ils sont les premiers bénéficiaires, l'huile de foie de morue, la poudre Marie Rose ou "la quintonine qui donne bonne mine" sont inséparables de la "Belle Époque".

C'est alors que naît l'industrie pharmaceutique, mais elle garde encore visage humain : sur chaque produit figure le nom de son créateur, pharmacien généralement, dont le savoir-faire et l'esprit d'entreprise sont à l'origine de laboratoires, sources de prospérité pour toute une ville, une région. L'oubli qui frappe leur mémoire est souvent proportionnel à la notoriété de leur produit. Ainsi en est-il de Jacques Lafarge, l'inventeur des pastilles Pulmoll. Les habitants de Maligny connaissent bien la "maison Lafarge" qui se dresse, pour quelque temps encore, au coeur du bourg. Rares sont ceux qui de nos jours font le rapprochement avec la petite boîte rouge connue de tous.

Maligny a pourtant été pour Jacques Lafarge le "vert paradis" de ses souvenirs d'enfance. Né en 1907, fils d'un pharmacien de la rue de Babylone, docteur en pharmacie, ce petit Parisien aimait beaucoup ses grands-parents paternels. Sa grand-mère était née Rabé, d'une ancienne famille de Maligny, qui apparaît au village en 1786 avec Isaac Michel Rabé, un avocat au Parlement de Paris dont le seigneur fait son régisseur et son homme de confiance.

CONTRE L'IRRITATION DE LA TOUX

Au long du XIXè siècle, tout en restant gestionnaire du château, les Rabé occupent de multiples fonctions à Maligny : maire, notaire, juge de paix, garde-forestier ... A la fin de la Révolution, ils font l'acquisition de l'ancien presbytère au coeur du bourg. C'est dans cette vaste demeure que Jacques passe ses vacances dans un univers un peu magique pour un jeune citadin : le grand-père n'a-t-il pas apprivoisé un sanglier qui se révèle un excellent leveur de perdreaux, et la gouvernante Joséphine n'est-elle pas accompagnée dans la maison par un renard apprivoisé ? A Auxerre, on visite quelquefois la famille du grand-oncle Félix, savant ornithologue, auteur d'un dictionnaire des oiseaux de l'Yonne ; les placards sont pleins d'animaux empaillés aux silhouettes mystérieuses. Il y a aussi les arpents de vigne que le grand-père cultive amoureusement, montée de Tonnerre. Tout cela, le petit Jacques ne l'oubliera jamais. Lorsqu'il perd prématurément son père alors qu'il n'a que 20 ans, il rachète immédiatement la "maison Lafarge" dont celui-ci venait de se défaire.

Mais c'est à Châteauroux, pays de sa femme, qu'il va construire sa réussite professionnelle. Il épouse en effet l'une des filles de Victor Hélin. Pharmacien dans cette ville du Berry, Hélin a mis au point en 1910 la Quintonine, merveilleux produit qui, ajouté au vin ordinaire, faisait retrouver force, vitalité et lucidité. Des dizaines de millions de bouteilles furent vendues dans les officines et Victor Hélin installe un laboratoire au n° 100 de la rue Grande. En 1946, Jacques Lafarge lui succède et met au point le sirop et les pastilles Pulmoll contre l'irritation de la toux. Le succès est immense, le laboratoire devenu Laboratoire Lafarge s'agrandit et s'installe rue de la Brauderie. Dix millions de boîtes sont produits chaque année. En 1976, Jacques Lafarge cède son affaire en pleine prospérité au groupe Sanofi, filiale du groupe Elf-Aquitaine. Cent soixante-dix employés assurent encore la production des pastilles Pulmoll et de la Quintonine mais l'usine disparaît en 1990.

Chaque été, Jacques Lafarge revenait à Maligny avec femme et enfants. En 1940, les Allemands transforment sa maison en camp pour des prisonniers employés sur place à la fabrication de charbon de bois pour gazogène. L'intérieur est massacré, aussi loge-t-il désormais chez des amis d'enfance, la famille Jeantet. Jacques Lafarge meurt en 1997. Cet homme droit, un brin austère, avait gardé au coeur un coin pour le village de ses jeunes années, pays de ses ancêtres, notables laborieux dont il partageait l'esprit de sérieux et de réussite. Aussi l'Yone lui doit bien cet hommage.

Jean-Pierre FONTAINE
02.07.2001
(extrait de L'Yonne Républicaine )

L'auteur remercie vivement Madame Jacqueline Lafarge-Morval pour sa bienveillante collaboration.


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